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l’utilitarisme

raisonnables, ils vont à la mer avec des calculs tout faits. Toutes les créatures raisonnables s’embarquent de même sur la mer de la vie avec des idées toutes faites sur le bien et le mal, et sur beaucoup d’autres questions plus difficiles à résoudre. Tant que la prévoyance sera une qualité humaine, les choses se passeront ainsi. Quel que soit le principe fondamental de morale qu’on adopte, son exécution pratique demande des principes secondaires. L’impossibilité de rien construire dans eux étant commune à tous les systèmes, cette impossibilité ne peut fournir un argument contre l’un d’eux en particulier. Mais, argumenter gravement comme si ces principes secondaires n’existaient pas, comme si l’humanité, dans le passé et dans l’avenir, ne tirait aucunes conclusions générales des expériences de la vie, c’est arriver au plus haut degré d’absurdité auquel aient jamais atteint les controverses philosophiques.

Le reste du stock d’arguments employés contre l’utilitarisme n’est pas sérieux. On met à sa charge les infirmités de la nature humaine, les difficultés que trouvent semées dans la vie les personnes consciencieuses. On nous dit qu’un utilitaire pourra faire de son cas particulier une exception à la règle, et, lors de la tentation, verra une utilité plus grande dans