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l’utilitarisme

qu’un sentiment nous est donné par la nature, on ne peut pas dire que toutes ses inspirations sont nécessairement légitimes. Le sentiment de la justice peut être un instinct particulier, et cependant demander, comme tous nos autres instincts, la surveillance et les lumières d’une raison plus haute. Si nous avons des instincts intellectuels qui dirigent dans un certain sens nos jugements, comme les instincts animaux nous font agir d’une certaine façon, il n’y a pas nécessité que les premiers soient plus infaillibles dans leur sphère que les seconds dans la leur. Les uns peuvent aussi bien suggérer de mauvais jugements que les autres des actions fâcheuses. Croire que nous possédons le sentiment naturel de la justice, c’est une chose, le reconnaître comme criterium suprême de conduite, c’en est une autre ; cependant ces deux opinions sont, en fait, très intimement unies. L’humanité est toujours disposée à croire qu’un sentiment subjectif, qui n’a pas d’autre explication, est la révélation de quelque réalité objective. Notre affaire, ici, est de chercher si la réalité à laquelle correspond le sentiment de la justice a besoin d’une telle révélation spéciale ; si la justice ou l’injustice d’une action est une chose particulière en elle-même, distincte de ses autres qualités, ou seulement une combinaison