Page:Mill - La Liberté, trad Dupont-White, 1860.djvu/108

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première. L’effet de l’habitude, en empêchant aucun doute de s’élever à propos des règles de conduite que l’humanité impose à chacun, est d’autant plus complet que, sur ce sujet, on ne regarde pas généralement comme nécessaire de pouvoir donner des raisons ou aux autres ou à soi-même : on est accoutumé à croire (et certaines gens qui aspirent au titre de philosophes nous encouragent dans cette croyance) que nos sentiments sur des sujets d’une telle nature valent mieux que des raisons, et rendent les raisons inutiles. Le principe pratique qui nous guide dans nos opinions sur le règlement de la conduite humaine, est l’idée dans l’esprit de chacun, que les autres devraient être contraints d’agir comme lui et ceux avec qui il sympathise, voudraient les voir agir. En vérité, personne ne s’avoue que le régulateur de son jugement est son propre goût ; mais une opinion sur un point de conduite, qui n’est pas soutenue par des raisons, ne peut être regardée que comme l’inclination d’une personne ; et si les raisons une fois données ne sont qu’un simple appel à une inclination semblable ressentie par d’autres gens, ce n’est encore que l’inclination de plusieurs personnes au lieu d’être celle d’une seule. Pour un homme ordinaire cependant, sa propre inclination ainsi soutenue n’est pas seulement une raison parfaitement satisfaisante, c’est encore la seule d’où procèdent toutes ses notions de moralité, de goût,