Page:Mill - La Liberté, trad Dupont-White, 1860.djvu/156

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motifs de leurs convictions, et où ils s’efforcent en parlant au public d’adapter ce qu’ils peuvent de leur manière de voir à des prémisses qu’ils nient intérieurement, ne peut produire de ces caractères francs et hardis, de ces intelligences consistantes et logiques qui ornèrent autrefois le monde pensant. L’espèce d’hommes à laquelle on peut s’attendre sous ce régime présente ou de purs esclaves du lieu commun, ou des serviteurs circonspects de la vérité dont les arguments sur tous les grands sujets sont proportionnés à leur auditoire et ne sont pas ceux dont ils se sont payés eux-mêmes. Les hommes qui évitent cette alternative, y réussissent en bornant leur pensée et leur intérêt aux choses dont on peut parler sans se hasarder dans la région des principes ; c’est-à-dire à un petit nombre de matières pratiques qui viendraient à bien d’elles-mêmes, si l’intelligence humaine prenait force et étendue, et qui n’y viendront jamais, tant que ce qui fortifierait et étendrait l’esprit humain, un libre et audacieux examen des sujets les plus élevés, est abandonné.

Les hommes aux yeux desquels ce silence des hérétiques n’est pas un mal devraient considérer d’abord que, par suite d’un tel silence, les opinions hérétiques ne sont jamais discutées d’une façon loyale et approfondie, de sorte que celles d’entre elles qui ne pourraient soutenir une pareille discussion ne disparaissent pas, quoiqu’on les empêche