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THÉODORE DE BANVILLE

Et je pense qu’avec un petit million
Nous pourrons lui fermer la bouche.

« Allons, j’ai faim (dit-il de sa plus douce voix) ;
Je veux grignoter quelque miette. »
Messieurs les députés viennent, et je les vois
Remplir aussitôt son assiette.

Sacs d’or, sacs de billon pesant, lourds sacs d’argent,
S’empilent, et, comme une guivre,
Le sphinx avale tout, or au reflet changeant,
Sacs d’argent et lourds sacs de cuivre,

« Encor, » dit-il. Voici qu’on lui sert derechef
Argent et cuivre et pièces jaunes ;
De l’argent et de l’or et du papier joseph
En paquets longs de plusieurs aunes.

Il mange tout. Devant nos regards éblouis,
Affamé comme un saltimbanque,
Il engloutit le tas immense de louis
Et croque les billets de banque.

« — Encor, encor, encor, encor, encor ! dit-il.
Qu’on me serve dans cette enceinte. »
Puis il ajoute avec un sourire subtil :
 « Tout cela n’était que l’absinthe !

« Mes amis, n’allez pas m’affamer pour deux liards
Car je suis un mangeur modeste.
Encor des millions, encor des milliards,
Et des trilliards s’il en reste ! »

Et toujours le Budget dévore. Ô ciel ! jusqu’où
Fourre-t-il cet or ! Quelle autruche !
Il sue, on voit saillir les veines de son cou ;
Il enfle comme une baudruche !