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EUGÈNE CHAVETTE

Le bourreau est un vieillard débile.

Son premier aide a quitté cette terre.

Le second valet relève d’une longue maladie qui l’a laissé sans forces.

Si le condamné, qui est un Hercule, n’y met pas un peu de bonne volonté, la justice des hommes sera difficilement satisfaite.

Au moment du dessert, arrive de la prison cette terrifiante nouvelle :

« Saint-Phar ne veut pas se laisser taquiner. »

Désespoir des invités, qui s’écrient en chœur :

« Voici notre petite fête gâtée ! On ne peut plus compter sur rien ! »

Le chef de division fronce le sourcil.

Son subordonné, qui voit son avancement compromis, fait de vains efforts pour calmer le mécontentement de ce personnage influent.

Enfin, il se résout à un grand moyen.

« Je connais un peu Saint-Phar, dit-il, je vais aller lui faire entendre raison. »

Il se rend à la prison, et pénètre dans la cellule du condamné.

Le dialogue suivant s’établit :

Le tentateur. — Eh bien ! qu’est-ce que tous ces menteurs-là me disent ? (Lui tapotant les joues.) Que tu ne veux pas te laisser guil-lo-ti-ner ?

Saint-Phar, sèchement. — Non.

Le tentateur. — La raison, s’il vous plaît ?

Saint-Phar, d’un ton froissé. — On me prévient au dernier moment.

Le tentateur. — Quoi ? au dernier moment ! Toute la nuit tu as entendu des coups de marteau qui t’empêchaient de dormir ; cela ne t’a pas intrigué ? Tu n’as pas eu la curiosité de te dire : « Qu’est-ce