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RABELAIS.

entré « en condition » ; au lieu de gaspiller, il amasse pour ses vieux jours. Il met ses tours de gibecière au service des fils de famille. Sa philosophie s’est amoindrie : il a gardé quelque teinture de logique et de grammaire latine ; mais son raisonnement se casse le nez devant le froid scepticisme de don Juan et son latin ne lui sert qu’à faire, à travers la médecine, de folles irruptions qui mettent son cou en danger. Il se mariera même, lui qui a tant hésité ; il sera, du moins en imagination, ce qu’il craignait tant d’être et flottera indécis entre sa poltronnerie naturelle et le point d’honneur conjugal. Enfin, les deux grands génies, malgré la différence des temps, se rencontreront dans une haine commune contre les hypocrites. Molière ne sera pas plus tendre pour la dévotion de commande restaurée au xviie siècle, que Rabelais pour les papimanes. Le gras Hornenaz, moins stupide, moins béat, moins confit dans la superstition du texte, instruit d’ailleurs par la casuistique, trouvera des accommodements avec le ciel et, sous l’habit laïque de Tartufe, se glissera dans les familles pour escamoter les testament-. Les deux rires se font écho à cent ans d’intervalle.

Molière tient une telle place dans les lettres françaises qu’il a fait oublier son ancêtre Rabelais. Ainsi, devant les portraits de famille suspendus dans la grande salle, l’œil s’arrête de préférence sur l’exemplaire le plus parfait de la race, qui a remporté les victoires les plus retentissantes, et néglige le tableau noirci où le fondateur de la dynastie se dresse avec sa barbe inculte et sa lourde