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Œuvres de Millevoye.

Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste, et mourant à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans :
« Bois que j’aime ! adieu… je succombe.
Ton deuil m’avertit de mon sort ;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d’Épidaure,
Tu m’as dit : « Les feuilles des bois
« A tes yeux jauniront encore ;
« Mais c’est pour la dernière fois.
« L’éternel cyprès se balance ;
« Déjà, sur ta tête, en silence,
« Il incline ses longs rameaux :
« Ta jeunesse sera flétrie,
« Avant l’herbe de la prairie,
« Avant le pampre des coteaux. »
Et je meurs !… De leur froide haleine
M’ont touché les sombres autans ;
Et j’ai vu, comme une ombre vaine,
S’évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère :
Couvre, hélas ! ce triste chemin ;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais si mon amante voilée,
Au détour de la sombre allée,
Venait pleurer quand le jour fuit ;
Éveille par un léger bruit
Mon ombre un instant consolée. »
Il dit, s’éloigne… et sans retour !
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.
Sous le chêne on creusa sa tombe…
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;