Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/36

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ne sont jamais chargées. Celles de Properce, beaucoup plus longues, ne sont pas toujours exemptes de recherche. On sent que l’un a besoin d’une digression poétique et brillante, que le seul besoin de l’autre est de retracer souvent l’objet de ses goûts paisibles. Le talent de Tibulle est tel qu’on se représente Tibulle lui-même, doux, simple et sans ambition. A la pureté, à l’élégance, à l’harmonie de ses vers, à leur air de facilité même, on doit juger qu’il les travaillait avec soin. Aussi ses contemporains le nommaient-ils culte Tibulle. On a reproché à notre grand Racine la monotonie de la perfection, ce qui m’a toujours paru assez étrange. Peut-être en modifiant cette idée la rendrait-on plus convenable à Tibulle, qui, n’étant pas comme Racine soutenu par l’intérêt dramatique, retombe sans cesse dans les mêmes formes, monotone à la fois par le rhythme, par les sujets, et même par l’analogie parfaite des images. Le tour optatif, mouvement naturel aux cœurs tendres, est prodigué dans Tibulle, mais souvent avec tant de bonheur qu’on est forcé d’en pardonner l’abus. Il revient aussi avec complaisance sur les évocations magiques et autres détails mystérieux, très compatibles avec la faiblesse et la crédulité de l’amour. Libre de soins, exempt d’affaires, sans liens à la ville, maître de jouir du calme des champs, Tibulle a dû beaucoup méditer, beaucoup rêver, puisqu’il a si peu produit dans cette plénitude de loisirs. Serait-ce que l’amour eût tellement occupé sa vie qu’il en fût devenu l’unique intérêt ? Non; l’amour de Tibulle fut plutôt un sentiment doux qu’une passion violente. Properce était plus fécond; son âme était pourtant plus agitée: il passait continuellement d’un excès à l’autre, tour à tour divinisait et couvrait d’ignominie l’objet de ses feux, tantôt l’accablait de reproches, tantôt menaçait de le punir, et toujours finissait