Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/43

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non seulement à son langage, mais à son regard, à son maintien. Quelle est cette jeune fille, qui n’est belle que du sentiment qui l’anime; qui, l’air distrait, les yeux chargés d’amour, pâlit et rougit presque à la fois; qui, assise à côté de sa mère, cherche autour d’elle un objet absent, laisse tomber sa tâche imparfaite, et s’écrie : « Ô ma mère ! ma mère ! mon travail s’échappe de mes doigts; un nuage est sur mes yeux; je me soutiens à peine. » C’est elle, c’est Sapho languissante, respirant le plaisir et l’amour, et brûlant de combler ses désirs ou du moins de les tromper. Notre admirable Racine a imité d’elle ce beau mouvement de Phèdre, comme elle en proie aux fureurs de Vénus.

Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !

Quand pourrai-je à travers une noble poussière

Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière !

On a souvent cité ces vers comme un modèle du ton de l’Élégie. Je trouverai bientôt l’occasion d’examiner combien y eût excellé le talent supérieur de Racine. Je reviens à Sapho, pour regretter qu’elle ne se soit pas livrée à une sorte de composition où l’appelaient spécialement la nature de son génie et la situation de son âme. Alors, comme on le dit en termes positifs, on eût pu dire, figurément, qu’elle avait ajouté des cordes à la lyre; elle eût joint à l’honneur d’introduire un rhythme nouveau le mérite de donner une existence nouvelle à un genre d’Élégie qu’elle eût aussi décoré de son nom. Oh ! quels sons douloureux et tendres seraient sortis de sa lyre amoureuse et désordonnée ! rochers de Mytilène ! promontoire de Leucade ! vous retentiriez encore de ses derniers accents ! arrivés jusqu’à nous, ils seraient tout ensemble le modèle et le désespoir de qui veut chanter l’amour,