Page:Milliet - Une famile de républicains fouriéristes, 1915.djvu/199

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SEIZE ANS

Seize ans ! C'est l'âge heureux où, sorti de l'enfance,
Le jeune homme, soudain, d'un pas hardi s'élance
Vers le vaste horizon qui rayonne à ses yeux.
Il contemple à la fois et la terre et les cieux,
D'un regard effaré, comme au sortir d'un rêve ;
Et la vie à son cœur monte comme une sève.
Tout lui semble nouveau : les monts, les bois, les prés,
Et les nuages d'or, et les flots azurés ;
Il écoute, ravi, le ruisseau qui murmure,
La brise qui soupire, et toute la nature
Lui parle... Et lui, rêveur et joyeux à la fois,
S'étonne de comprendre enfin toutes ces voix.

Seize ans ! Il va quitter le toit qui le protège
Et secouer gaîment la poudre du collège ;
Dans le grand drame humain, las d'être spectateur,
Il veut jouer son rôle et devenir acteur.
La vie est un combat, le monde est un théâtre :
Il faudra tour à tour et jouer et combattre.
Allons ! Prépare-toi, jeune homme au cœur bouillant,
La victoire n'est pas toujours au plus vaillant,
Il est vrai ; l'homme adroit peut vaincre par surprise ;
N'importe ! Va sans crainte, et prends pour ta devise,
Ces mots : Courage et Foi, Honneur et Liberté,
Saint amour du Progrès et de l'Humanité.

6 mars 1860.


Comme les paysans de Virgile, l’étudiant ne connaît pas son bonheur. J’étais entouré d’excellents amis, qui depuis m’ont prouvé en mainte occasion l’inébranlable fidélité de leur affection, et cela ne me suffisait pas ! Comme ils me plaisantaient, bien doucement pourtant, sur ma mélancolie, je rêvais d’un ami idéal, sentimental comme moi. A l’âge où l’enfant devient homme, il passe souvent par une crise douloureuse et sa sensibilité maladive s’exhale en plaintes sans raison. Une précoce misanthropie — il faudrait peut-être dire une maladie de foie — me dicta des vers éplorés qui me font sourire aujourd’hui. Je les citerai pourtant, pour deux raisons ; d’abord parce qu’ils me semblent caractériser assez bien cet état d’âme que produisent chez l’adolescent des aspirations inassouvies, puis parce qu’ils montrent les dangers de l’idéalisme mal compris. La peur de la vie mène à l’ascétisme mystique, puis au plus décourageant pessimisme. Ridicule petit Alceste, je m’écriais avec amertume : Plaisantins, laissez-moi î De votre esprit frivole Ne me poursuivez pas î

Vous arrêtez à chaque pas

Par un rire moqueur mon âme qui s’envole. J’ai besoin de la paix des bois silencieux. J’ai besoin d’être seul. Votre gaîté me pèse. Laissez-moi pleurer à mon aise

Et contempler longtemps les étoiles des cieux. Oh, pourquoi riez-vous ainsi de chaque chose. Cherchant le ridicule et parodiant tout r Vous faites de l’esprit partout.

’ous vous moquez du ciel, du printemps, de la rose... Jamais l’enthousiasme aux baisers pleins de feu Ne pose sur vos fronts ses lèvres inspirées. Ni sur ses ailes empourprées

Ne vous emporte au ciel, en extase, vers Dieu !...