Un auditoire d’élite écoute les prolégomènes du bavant mémoire avec un bienveillant intérêt.
Où sont les beaux vieillards que célébrait Homère ?
Où sont-ils les Nestors au vénérable aspect,
Dont les sages conseils commandaient le respect ?
Qu’il est prompt le déclin chez le pauvre éphémère !
Notre homme, à cinquante ans, semble un octogénaire,
Sa bouche démeublée exhale un souffle infect,
Ses membres sont perclus, et son cœur circonspect
Appelle la pitié « Dangereuse chimère » !
Farci de vieux clichés, son esprit embaumé.
Ne voit dans le Progrès qu’un brigand mal famé ;
« À la tradition il est attentatouâre ! »
Aux élans généreux l’égoïste fermé
Nous rabâche cent fois sa personnelle histoire.
Opinant qu’après lui tout sera consommé !
M. Blakôdès nous avait fait une interminable conférence sur les origines égyptiennes de l’art grec. Le moindre ornement prenait à ses yeux un sens symbolique, caché et mystérieux, mais son érudition nous avait laissés très sceptiques, j’écrivis une parodie de sa conférence :
C’est à un public d’élite que M. Blakôdès, béotien d’origine, vient de communiquer son savant mémoire sur le culte orgiastique de la Grue sacrée chez les Hyksôs.
Dès que le mot grue fut prononcé, l’attention de l’auditoire d’élite se montra vivement surexcitée. Cependant le conférencier s’empressa d’ajouter que de hautes considérations morales l’empêcheront toujours de s attarder à des histoires de grues. Il respecte trop un auditoire d’élite pour rien dire d’intéressant.
L’auditoire d’élite écoute les prolégomènes du savant mémoire avec un bienveillant intérêt. M. Blakôdès met en effet au service de ses ingénieuses hypothèses toutes les ressources d’une vaste érudition et les sûres méthodes de la critique allemande : Le mot grue, la babillarde, vient du sanscrit gar, en hébreu en grec géranos, en latin grus, en javanais grou, en auvergnat groucha, en chinois grahaha, grulla chez les Ibères.
Les glyphes sacrées n’ont pas de secrets pour M. Blakôdès, mais il sait aussi se taire. Est modus in rebus dit-il finement. Les rébus sont à la mode ; il ne faut pas en abuser. Le culte orgiastique de la grue sacrée ayant été importé par les Phéniciens chez les Étrusques puis dans les régions germaniques. Tacite et Montesquieu y voient l’une des causes principales de la décadence romaine.
