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aussitôt avis à M. de Nieuwerkerke. La municipalité de Padoue offre cent mille francs de cette chapelle ; elle vaut dix fois plus. Mais notre pauvre Louvre laissera échapper cette occasion, la dernière peut-être, avant que le gouvernement italien ait racheté toutes les merveilles de ce pays.

Je voyais déjà la chapelle de Giotto transportée dans la grande cour du Louvre. L’opération ne serait pas facile, mais je ne la crois pas impossible. Et dire qu’il ne se trouvera pas un amateur intelligent pour m’envoyer deux cents mille francs !

À Monsieur le Directeur des Beaux-Arts.
Padoue, 30 septembre 1868.


Monsieur le Directeur.

Permettez-moi de vous faire part d’une nouvelle qui vous intéressera sans doute : Il serait possible en ce moment d’acquérir à Padoue la petite église Santa Maria dell’Arena, entièrement peinte par Giotto.

Est-il besoin de vous rappeler combien deviennent rares en Italie de pareilles occasions, et combien il serait à désirer de voir un pareil maître représenté au Louvre d’une manière aussi splendide ! Me défiant de mon propre enthousiasme, je laisse parler M. du Pays, l’auteur d’un excellent guide en Italie :

« Cette chapelle est un des monuments les plus précieux de l’art de la peinture. C’est ici, ainsi qu’à l’Église Saint-François d’Assise, qu’il faut étudier le grand initiateur de l’art moderne, c’est ici surtout… »

Pillées par Overbeck, ces fresques ont été religieusement étudiées par Ingres et par Flandrin qui n’ont pas dédaigné d’y faire de larges emprunts.

Quant à la difficulté de transporter à Paris ces légères murailles de briques avec leur précieux enduit, je ne crois pas qu’elle soit pour effrayer des spécialistes : chaque composition, entourée d’une bande d’ornements, pourrait être détachée à part.

La Commune de Padoue est en pourparlers pour acheter l’église : on parle de cent mille francs offerts. Rien n’est encore conclu. Ce serait une chose unique et grandiose que de prendre cette église dans votre main, pour en doter le Louvre et la France !

Pardonnez, je vous prie, à mon jeune enthousiasme une idée peut-être irréalisable, mais qui mérite pourtant de ne pas être rejetée sans examen.

Agréez… etc.


IDÉALISME

 
J’ai suivi dans son vol léger la Fantaisie.
Le Vrai qu’on dit si beau, parfois me semble laid
Et sale, je voudrais, d’un bon coup de balai,
Purifier ton temple, ô chaste Poésie.

L’ornière où je croupis, je ne l’ai pas choisie,
Et, de la boue immonde étant mal satisfait,
Je rêve de beauté, d’amour sans jalousie,
De travail attrayant et de bonheur parfait.

Muse, ma barque vogue aux flots d’azur du songe,
Vois le saphir liquide où ma rame se plonge,
Là-bas l’île enchantée aux merveilleux trésors ;

Les harpes de la brise ont de divins accords,
C’est comme un chant d’hymen qu’au loin l’écho prolonge…
Je t’aime, viens ! Merci ! Dans mes bras ton beau corps !


Paul M. à sa mère.
Padoue, octobre 1868.

Enfin je reçois votre lettre ! J’étais triste, énervé. Il pleuvait. Les orages se succédaient sans interruption. Je me sentais seul, abandonné, sans nouvelles. Aussi qui m’aurait vu me jeter sur votre lettre, rire et pleurer en la lisant, ne m’aurait pas accusé d’être froid. — Maintenant je me plais à Padoue ; je ne trouverai rien de plus beau ailleurs, et j’y reste[1]. — J’ai renoncé à Mantoue. Je n’y verrais guère que des Jules Romain qui me déplaisent d’avance. Je réserve Venise pour plus tard, quand je serai plus fort.


  1. Je n’ai pas décrit dans mes lettres les admirables œuvres de Donatello ni de Mantegna à Padoue, j’ai préféré les étudier le crayon à la main.