Page:Milosz - Poèmes, 1929.djvu/58

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Avait la couleur des semailles ; et dans mon cœur perdu,
Muet, hostile et froid comme le caillou du chemin,

Une belle tendresse se réveille aujourd’hui encore
À la vue d’une femme vêtue de ce brun pauvre,
Chagrin et pardonnant : la première hirondelle
Vole, vole sur les labours, dans le soleil clair de l’enfance.

Je savais que vous n’aimiez pas le lieu où vous étiez
Et que, si loin de moi, vous n’étiez plus ma belle solitude.
Le roc vêtu de temps, l’île folle au milieu de la mer
Sont de tendres séjours ; et je sais maint tombeau dont la porte est de rouille et de fleurs.

Mais votre maison ne peut être là-bas où le ciel et la mer
Dorment sur les violettes du lointain, comme les amants.
Non, votre vraie maison n’est pas derrière les collines.
Ainsi, vous avez pensé à mon cœur. Car c’est là que vous êtes née.

C’est là que vous avez écrit votre nom d’enfant sur les murs
Et, telle une femme qui a vu mourir l’époux terrestre,
Vous revenez avec un goût de sel et de vent sur vos joues blanches
Et cette vieille, vieille odeur de givre de Noël dans vos cheveux.

Comme d’un charbon balancé autour d’un cercueil
De mon cœur où bruit ce rythme mystérieux


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