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LE PARADIS PERDU

ses besoins, dans le cœur de l’enfer, travailler dans le feu, ou porter ses messages dans le noir abîme ? Que nous servirait alors de sentir notre force non diminuée ou l’éternité de notre être, pour subir un éternel châtiment. »

Le grand ennemi répliqua par ces paroles rapides :

« Chérubin tombé, être faible et misérable, soit qu’on agisse ou qu’on souffre. Mais sois assuré de ceci : faire le bien ne sera jamais notre tâche ; faire toujours le mal sera notre seul délice, comme étant le contraire de la haute volonté de celui auquel nous résistons. Si donc sa providence cherche à tirer le bien de notre mal, nous devons travailler à pervertir cette fin et à trouver encore dans le bien des moyens du mal. En quoi souvent nous pourrons réussir de manière peut-être à chagriner l’ennemi, et, si je ne me trompe, détourner ses plus profonds conseils de leur but marqué.

» Mais vois ! le vainqueur courroucé a appelé aux portes du ciel ses ministres de poursuites et de vengeance. La grêle de soufre lancée sur nous dans la tempête passée a abattu la vague brûlante qui du précipice du ciel nous reçut tombants. Le tonnerre, avec ses ailes de rouges éclairs et son impétueuse rage, a peut-être épuisé ses traits, et cesse maintenant de mugir à travers l’abîme vaste et sans bornes. Ne laissons pas échapper l’occasion que nous cède le dédain ou la fureur rassasiée de notre ennemi. Vois-tu au loin cette plaine sèche, abandonnée et sauvage, séjour de la désolation, vide de lumière hors de celle que la lueur de ces flammes noires et bleues lui jette pâle et effrayante ? Là, tendons à sortir des ballottements de ces vagues de feu ; là, reposons-nous, si le repos peut