Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/141

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fluence dans le sein inconsidéré de son compagnon ; celui-ci appelle ensemble, ou l’un après l’autre, les chefs qui commandent, sous lui-même commandant. Il leur dit, comme il en était chargé, que par ordre du Très-Haut, avant que la nuit, avant que la sombre nuit ait abandonné le ciel, le grand étendard hiérarchique doit marcher en avant ; il leur en dit la cause suggérée, et jette parmi eux des mots ambigus et jaloux, afin de sonder ou de corrompre leur intégrité. Tous obéirent au signal accoutumé et à la voix supérieure de leur grand potentat ; car grand en vérité était son nom, et haut son rang dans le ciel : son air, pareil à celui de l’étoile du matin qui guide le troupeau étoilé, les séduisit, et ses impostures entraînèrent à sa suite la troisième partie de l’ost du ciel.

« Cependant l’œil éternel dont le regard découvre les plus secrètes pensées, du haut de sa montagne sainte et du milieu des lampes d’or qui brûlent nuitamment devant lui, vit, sans leur lumière, la rébellion naissante ; il vit en qui elle se formait, comment elle se répandait parmi les fils du matin, quelles multitudes se liguaient pour s’opposer à son auguste décret. Et souriant, il dit à son Fils unique :

« — Fils, en qui je vois ma gloire dans toute sa splendeur, héritier de tout mon pouvoir ! une chose maintenant nous touche de près ; il s’agit de notre omnipotence, des armes que nous prétendons employer pour maintenir ce que de toute ancienneté nous prétendons de divinité et d’empire. Un ennemi s’élève avec l’intention d’ériger son trône égal aux nôtres, dans tout le vaste septentrion. Non content de cela, il a en pensée d’éprouver dans une bataille ce qu’est notre force ou notre droit. Songeons-y donc, et dans ce danger, rassemblons promptement les forces qui nous restent ; servons-nous-en dans notre défense, de crainte de perdre par mégarde notre haute place, notre sanctuaire, notre montagne. »

« Le Fils lui répondit d’un air calme et pur, ineffable, serein et brillant de divinité :

« — Père tout-puissant, tu as justement tes ennemis en déri-