Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/276

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« Ma reconnaissance aurait élevé plusieurs autels de gazon, et j’aurais entassé les pierres lustrées du ruisseau, en souvenir ou monument pour les âges ; sur ces autels j’aurais offert les suaves odeurs des gommes doucement parfumées, des fruits et des fleurs. Dans le monde ici-bas, au-dessous, où chercherai-je ses brillantes apparitions et les vestiges de ses pieds ? Car bien que je fuie sa colère, cependant rappelé à la vie prolongée et une postérité m’étant promise, à présent, je contemple avec joie l’extrémité des bords de sa gloire, et j’adore de loin ses pas. »

Michel, avec des regards pleins de bénignité :

« Adam, tu le sais, le ciel et toute la terre sont à Dieu, et non pas ce roc seulement : son omniprésence remplit la terre, la mer, l’air et toutes les choses qui vivent fomentées et chauffées par son pouvoir virtuel. Il t’a donné toute la terre pour la posséder et la gouverner ; présent non méprisable ! N’imagine donc pas que sa présence soit confinée dans les bornes étroites de ce paradis ou d’Éden. Éden aurait peut-être été ton siège principal, d’où toutes les générations se seraient répandues, et où elles seraient revenues de toutes les extrémités de la terre pour te célébrer et te révérer, toi leur grand auteur. Mais cette prééminence tu l’as perdue, descendu que tu es pour habiter maintenant la même terre que tes fils.

« Cependant ne doute pas que Dieu ne soit dans la plaine et dans la vallée comme il est ici, qu’il ne s’y trouve également présent : les signes de sa présence te suivront encore ; tu seras encore environné de sa bonté, de son paternel amour, de son image expresse et de la trace divine de ses pas. Afin que tu puisses le croire et t’en assurer avant ton départ d’ici, sache que je suis envoyé pour te montrer ce qui, dans les jours futurs, doit arriver à toi et à ta race. Prépare-toi à entendre le bien et le mal, à voir la grâce surnaturelle lutter avec la méchanceté des hommes : de ceci tu apprendras la vraie patience, et à tempérer la joie par la crainte et par une sainte tristesse, accoutumé par la modération à supporter également l’une et