Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/54

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l’assemblée : ainsi lorsque les rochers creux retiennent le son des vents tumultueux qui toute la nuit, ont soulevé la mer, alors leur cadence rauque berce les matelots excédés des veilles, et dont la barque, ou la pinasse, par fortune, a jeté l’ancre dans une baie rocailleuse, après la tempête : de tels applaudissements furent ouïs quand Mammon finit, et son discours plaisait, conseillant la paix ; car un autre champ de bataille était plus craint des esprits rebelles que l’enfer, tant la frayeur du tonnerre et de l’épée de Michel agissait encore sur eux ! Et ils ne désiraient pas moins de fonder cet empire inférieur qui pourrait s’élever par la politique et le long progrès du temps rival de l’empire opposé du ciel.

Quand Belzébuth s’en aperçut (nul, Satan excepté, n’occupe un plus haut rang), il se leva avec une contenance sérieuse, et, en se levant il sembla une colonne d’État. Profondément sur son front sont gravés les soins publics et la réflexion ; le conseil d’un prince brillait encore sur son visage majestueux, bien qu’il ne soit plus qu’une ruine. Sévère, il se tient debout, montrant ses épaules d’Atlas, capables de porter le poids des plus puissantes monarchies. Son regard commande à l’auditoire, et tandis qu’il parle, il attire l’attention, calme comme la nuit ou comme le midi d’un jour d’été.

« Trônes et puissances impériales, enfants du ciel, vertus éthérées, devons-nous maintenant renoncer à ces titres, et, changeant de style, nous appeler princes de l’enfer ? Car le vote populaire incline à demeurer ici et à fonder ici un croissant empire : sans doute, tandis que nous rêvons ! nous ne savons donc pas que le Roi du ciel nous a assigné ce lieu, notre donjon, non comme une retraite sûre (hors de l’atteinte de son bras puissant, pour y vivre affranchis de toute juridiction du ciel dans une nouvelle ligue formée contre son trône), mais pour y demeurer dans le plus étroit esclavage, quoique si loin de lui, sous le joug inévitable réservé à sa multitude captive ? Quant à lui, soyez-en certains, dans la hauteur des cieux ou dans la profondeur de l’abîme, il régnera le premier