Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/66

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de leur assemblée et à la vue des séraphins entrés avec toi dans une hardie conspiration contre le Roi du ciel, tout d’un coup une douleur cruelle te saisit, tes yeux obscurcis et éblouis nagèrent dans les ténèbres, tandis que ta tête jeta des flammes épaisses et rapides : elle se fendit largement du côté gauche ; semblable à toi en forme et en brillant maintien, alors éclatante et divinement belle, je sortis de ta tête, déesse armée. L’étonnement saisit tous les guerriers du ciel ; ils reculèrent d’abord effrayés et m’appelèrent Péché et me regardèrent comme un mauvais présage. Mais bientôt familiarisés avec moi, je leur plus, et mes grâces séduisantes gagnèrent ceux qui m’avaient le plus en aversion, toi principalement. Contemplant très-souvent en moi ta parfaite image, tu devins amoureux, et tu goûtas en secret avec moi de telles joies, que mes entrailles conçurent un croissant fardeau.

« Cependant la guerre éclata et l’on combattit dans les champs du ciel. À notre puissant ennemi (pouvait-il en être autrement ?) demeura une victoire éclatante, à notre parti la perte et la déroute dans tout l’Empyrée. En bas nos légions tombèrent, précipitées la tête la première du haut du ciel, en bas, dans cet abîme, et moi avec elles dans la chute générale. En ce temps-là, cette clef puissante fut remise dans mes mains, avec ordre de tenir ces portes à jamais fermées, afin que personne ne les passe, si je ne les ouvre.

« Pensive, je m’assis solitaire, mais je ne demeurai pas assise longtemps : mes flancs fécondés par toi, et maintenant excessivement grossis éprouvèrent des mouvements prodigieux, et les poignantes douleurs de l’enfantement. Enfin, cet odieux rejeton que tu vois de toi engendré, se frayant la route avec violence, déchira mes entrailles, lesquelles étant tordues par la terreur et la souffrance, toute la partie inférieure de mon corps devint ainsi déformée. Mais lui, mon ennemi-né, en sortit, brandissant son fatal dard, fait pour détruire. Je fuis et je criai : Mort ! L’enfer trembla à cet horrible nom, soupira du fond de toutes ses cavernes, et répéta : Mort ! Je fuyais ;