Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/96

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Que pouvais-je faire de moins que de lui offrir des louanges, hommage si facile ! que de lui rendre des actions de grâces ? combien elles lui étaient dues ! Cependant toute sa bonté n’a opéré en moi que le mal, n’a produit que la malice. Élevé si haut, j’ai dédaigné la sujétion ; j’ai pensé qu’un degré plus haut je deviendrais le Très-Haut ; que dans un moment j’acquitterais la dette immense d’une reconnaissance éternelle, dette si lourde ; toujours payer, toujours devoir. J’oubliais ce que je recevais toujours de lui ; je ne compris pas qu’un esprit reconnaissant en devant ne doit pas, mais qu’il paye sans cesse, à la fois endetté et acquitté. Était-ce donc là un fardeau ? Oh ! que son puissant destin ne me créa-t-il un ange inférieur ! je serais encore heureux ; une espérance sans bornes n’eût pas fait naître l’ambition. Cependant, pourquoi non ? quelque autre pouvoir aussi grand aurait pu aspirer au trône et m’aurait, malgré mon peu de valeur, entraîné dans son parti. Mais d’autres pouvoirs aussi grands ne sont pas tombés ; ils sont restés inébranlables, armés au dedans et au dehors contre toute tentation. N’avais-tu pas la même volonté libre et la même force pour résister ? Tu l’avais ; qui donc et quoi donc pourrais-tu accuser, si ce n’est le libre amour du ciel qui agit également envers tous ?

« Qu’il soit donc maudit cet amour, puisque l’amour ou la haine, pour moi semblables, m’apportent l’éternel malheur ! Non ! sois maudit toi-même, puisque par ta volonté contraire à celle de Dieu, tu as choisi librement ce dont tu te repens si justement aujourd’hui !

« Ah ! moi, misérable ! par quel chemin fuir la colère infinie et l’infini désespoir ? Par quelque chemin que je fuie, il aboutit à l’enfer ; moi-même je suis l’enfer ; dans l’abîme le plus profond est au dedans de moi un plus profond abîme qui, large ouvert, menace sans cesse de me dévorer ; auprès de ce gouffre, l’enfer où je souffre semble le ciel.

« Oh ! ralentis tes coups ! n’est-il aucune place laissée au repentir, aucune à la miséricorde ? Aucune, il faut la soumis-