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Page:Mirabeau - Le Rideau levé ou l'éducation de Laure, 1882.djvu/21

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LE RIDEAU LEVÉ


bientôt vers elle, et j’ai eu lieu de m’y attacher fortement. Je m’aperçus que mon père la reçut avec une satisfaction qui répandit la sérénité dans ses yeux.

L’envie et la jalousie, ma chère, sont étrangères à mon cœur, rien ne me paraît plus mal fondé ; d’ailleurs, ce qui fait les désirs des hommes ne tient souvent pas à notre beauté et à notre mérite : ainsi, pour notre propre bonheur, laissons-les libres, sans inquiétude. Il y en a dont l’infidélité est souvent un feu léger, qu’un instant voit disparaître aussitôt qu’il a brillé. S’ils pensent, s’ils réfléchissent, bientôt on les voit revenir auprès d’une femme dont l’humeur douce et agréable les met dans l’impossibilité de vivre sans elle ; s’ils ne pensent pas, la perte est bien faible. Eh ! quelle folie de s’en tourmenter.

Je ne raisonnais pas encore avec autant de sagacité ; cependant je ne sentais point de jalousie contre Lucette : il est vrai que ses amitiés, ses caresses, et celles que mon père continuait de me faire, la bannissaient loin de moi. Je n’apercevais de différence que dans la réserve qu’il observait lorsque Lucette était présente ; mais je donnais cette conduite à sa prudence. Un temps se passa de cette manière, pendant lequel je m’aperçus enfin de ses attentions pour elle. Toutes les occasions qui pouvaient s’en présenter, il ne les laissait point échapper ; cependant mon affec-