Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/14

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pour les amis… des amis comme vous, par exemple ! Hein ! qu’en pensez-vous ?

Le Reporter. — Vous ne pouvez pas faire cela !… Vous ne pouvez pas priver la patrie d’une œuvre de vous, d’un chef-d’œuvre de vous, mon cher et illustre maître. Ce serait plus qu’une trahison envers la patrie, ce serait une forfaiture envers l’humanité…

L’illustre Écrivain. — C’est ce que je me suis dit… Mais quels tracas ! Quelle souffrance pour quelqu’un qui déteste le bruit !… Où donc aller pour me soustraire à toute cette agitation du succès !… C’est inconcevable !… Partout où je vais, je suis connu. Et ce sont des fêtes, des invitations, des acclamations… Imagineriez-vous que, l’année dernière, dans le désert saharien, j’ai dû subir les persécutions enthousiastes des caravanes arabes !… Même au désert, il m’est impossible de garder l’incognito !… C’est à devenir fou !… J’avais songé à fuir, cette année, dans l’Afrique centrale !… Mais qui me dit que, là encore, je ne serai pas poursuivi, accaparé ! Est-ce une vie ?… Voulez-vous me rendre un grand service ?

Le Reporter. — Oh ! mon cher maître !

L’illustre Écrivain. — J’ai préparé une note, pas trop longue, concernant mon prochain roman… Vous la publierez, telle quelle, sous votre signature…

Le Reporter. — Oh ! mon cher maître !