Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/42

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L’illustre Écrivain, très noble. — Vous ne pourrez toujours pas m’enlever mon talent…

Mme  Beauduit, avec un rire grinçant. — Son talent !… son talent !… Non, mais il croit qu’il a du talent !… Son talent !… Ah ! ah ! ah !… Il ne voit même pas la mystification que c’est !… Imbécile !… Eh bien, je vais leur montrer, moi, ce que c’est que ton talent !… Adieu !…


Elle sort, furieuse. Le valet de chambre rentre, regarde son maître et hausse les épaules. Il prend le chapeau de l’Illustre Écrivain, qu’il lisse avec des foulards.


Le Valet de chambre. — Dans la vie littéraire, l’important n’est pas d’avoir du talent… L’important, c’est d’être classé… Or, Monsieur est classé… Monsieur n’a donc rien à craindre.

L’illustre Écrivain. — Tu crois ?…

Le Valet de chambre. — Mais oui… Monsieur est classé comme « notre éminent et illustre psychologue »… On ne peut rien contre ça !… Et Monsieur n’écrirait plus de livres… Monsieur ferait de l’architecture ou du notariat, qu’il serait toujours et pour tout le monde… « notre éminent et illustre psychologue »… (Tendant le chapeau.) Qu’est-ce que vous voulez qu’elle fasse, la malheureuse ?… Que Monsieur ne s’inquiète pas… et qu’il dorme sur ses deux oreilles… Il y a toujours quelqu’un de plus bête que l’auteur… c’est le public !… Sans ça !