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CLAUDE MONET


M. Claude Monet expose, chez MM. Boussod et Valadon, une série de toiles incomparables. Je n’ai pas à rendre compte ici de cette Exposition, et je le regrette, car elle offre un tout à fait exceptionnel intérêt d’art par l’étonnante diversité et la nouveauté hardie des sensations exprimées en ces œuvres — paysages, marines et figures — sensations qu’aucun peintre, à aucune époque, n’exprima, je crois, avec cette passion de la vie, avec cette force d’éloquence et ce charme de sensibilité, avec, surtout, cette supérieure intelligence des grandes harmonies de la nature. Je veux seulement, à cette occasion, parler du très rare, du très puissant artiste qu’est M. Claude Monet, si toutefois, en ces temps d’agitations imbéciles, il est permis de s’occuper encore de quelque chose de noble, où la boueuse politique n’a rien à voir.

En peinture, tout le monde est le maître ou l’élève de quelqu’un, suivant qu’on est vieux ou jeune, et plus ou moins décoré. Lorsqu’on n’a point de génie, on le professe pour le compte d’autrui ; on devient cette chose impudente et burlesque : professeur d’art. Transmettre de génération en génération, théoriquement, mécaniquement, des lois fixes du beau ; enseigner l’art d’être ému, d’une façon correcte et semblable, devant un morceau de nature,