Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/30

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Ce jour-là, j’accompagnai mon père aux obsèques d’un vieux fermier que je ne connaissais pas. Au cimetière, durant le défilé devant la fosse, je fus pris d’une étrange tristesse. Je quittai la foule des gens qui se bousculaient et se disputaient l’aspersoir, et je courus à travers le cimetière, trébuchant sur les tombes et pleurant à fendre l’âme d’un fossoyeur. Mon père me rejoignit.

— Eh bien ?… Qu’est-ce que tu as ?… Pourquoi pleures-tu ?… Pourquoi t’en vas-tu ?

— Je ne sais pas !… Je ne peux pas…

Mon père me prit par la main et me ramena à la maison.

— Voyons ! raisonna-t-il. Tu ne le connaissais pas, le père Julien ?

— Non…

— Par conséquent, tu ne l’aimais pas ?

— Non…

— Ça ne peut pas te faire de la peine qu’il soit mort ?

— Non…

— Alors, qu’est-ce qu’il te prend ?… Pourquoi pleurer ?

— Je ne sais pas…

Et mon père ajouta, après un silence, d’une voix plus sévère :

— Ce n’est pas bien, ce que tu fais là !… Tu ne sais quoi inventer pour me mortifier ! Je ne suis pas content du tout… Ce matin tu dis à ta sœur on ne sait quoi… maintenant tu pleures à propos de rien… Si tu continues, je ne t’emmènerai plus jamais avec moi…