Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes beaux-frères agir, comme ils voulurent, et je ne protestai pas contre les parts exorbitantes qu’ils s’attribuèrent.

Mes sœurs essayèrent de légitimer leur rapt, par des raisons domestiques.

— Il est juste, m’expliquèrent-elles, que nos parts dans la succession soient un peu plus fortes que la tienne, tu dois le reconnaître. C’était, d’ailleurs, dans les intentions de mon père. Tu as coûté beaucoup d’argent à nos parents… Il a fallu payer pour toi, des années et des années de collège, qui furent très lourdes, très chères, et nous valurent à nous autres des privations de toute sorte… Puis, tu es resté à la maison, jusque maintenant, sans gagner un sou, est-ce vrai ?… Dieu sait ce que l’on a dépensé pour ton entretien et ton instruction !… Bien inutilement !… Enfin !… nous ne récriminons pas… Mais tu dois comprendre, qu’au lieu d’être une charge pour tout le monde, tu aurais pu te suffire à toi-même… Regarde tous les jeunes gens du pays, qui ont ton âge… Que nous supportions les conséquences de ta paresse ou de ta bêtise, cela n’est pas juste… Nous n’avons rien coûté, nous… au contraire…, nous avons dirigé la maison, nous avons travaillé, nous avons été la source de nombreuses économies… Il est donc raisonnable que nous rattrapions tout cela, aujourd’hui…

Je ne les écoutais pas, d’abord je n’aurais pas su discuter de telles questions ; et puis ma pensée, était ailleurs. J’étais encore trop ébranlé par cet horrible drame, pour m’attacher à quoi que ce soit de terrestre. Je répondais machinalement :

— Faites ce que vous voudrez… je ne tiens à rien…