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Page:Mirbeau - Esthétique théâtrale, paru dans l’Écho de Paris, 16 juin 1891.djvu/7

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L’auteur (Il se lève, un peu pâle)

Alors, vous êtes bien décidé à ne pas jouer ma pièce…

Le directeur

J’en suis désolé… Mais, vrai, je ne puis pas… Comme homme, comme artiste, je le voudrais, mais comme directeur j’ai les mains liées… Et, tenez, je vais vous donner un conseil, parce que vous êtes un jeune, un chercheur, un audacieux, et que je les aime moi, les jeunes, les chercheurs, et les audacieux… Veuillez vous rasseoir un instant… Une cigarette ?… (Il lui présente son porte-cigarettes)… Vous m’êtes bien sympathique.

L’auteur (Après avoir allumé une cigarette, il se recule machinalement, et s’assoit encore sur le fauteuil, où git la pièce de M. Delpit.)

Merci !

Le directeur

Pardon !… Voilà que vous vous asseyez à nouveau sur la pièce de Delpit. (Il prend le manuscrit, le feuillette, l’agite)… Tenez, ça !… Il n’y a rien là-dedans, n’est-ce pas ? ni style, ni verve, ni esprit, ni observation, ni passion, ni pensée, ni rien, rien, rien !… Il est impossible de trouver, quelque part, quelque chose d’aussi banal, d’aussi ennuyeux, d’aussi vide d’idées ! C’est la parfaite image du néant… On se demande comment un homme peut être assez aveuglé sur soi-même pour ne pas se rendre compte de l’incurable inintelligence que de telles productions dénotent…