Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/103

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avec plus de soin que jadis. Certes, il n’espérait pas mettre jamais la main sur des millions, mais un louis par-ci, deux louis par-là, ça finirait tout de même par faire une somme respectable. Très calme, il s’allongea sur un fauteuil, et se perdit en de vagues et innocentes méditations. L’évêque rentré, Jules ne montra aucune gêne, s’entretint avec lui sur le ton de la plus libre, de la plus franche affection. Il fut charmant. Et cette affection n’avait rien de joué ; elle était sincère et profonde. À cette minute, il éprouvait réellement, pour le vieux prélat, un respect filial, une reconnaissance tranquille dégagée de tous remords, et comme, dans ses brusques sautes de la haine à la tendresse, il ne l’avait point encore éprouvée, jusqu’ici. Son âme s’amollissait, se fondait à la chaleur des sentiments généreux et des généreuses pensées qui remuaient en lui délicieusement. Le vol le rendait meilleur. Il s’attarda, heureux d’être auprès de son évêque, de le combler de prévenances ; il sut trouver de ces mots caressants et attendris, qu’ont les femmes avec l’homme qu’elles viennent de tromper, de ces mots réchauffants qui fixent la confiance dans les cœurs. L’évêque goûta quelques instants de joie véritable, et quand l’abbé fut parti, il se dit, le visage rasséréné : « Un peu vif, parfois… un peu diable… Eh ! mon Dieu !… Mais le fond est bon. »

Jules déposa, dans un tiroir de son secrétaire, les deux louis dérobés, et jetant un coup d’œil mélancolique, sur les trois malles qui contenaient, transformés en volumes, toutes ses économies, toutes ses priva-