Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/133

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prochez-vous ?… De ne point vous donner l’argent de mes quêtes, de mes prières, de mes souffrances ?… mais je ne peux pas !… Tenez, souvent des pauvres qui étaient nus et qui avaient faim, de lamentables créatures de Dieu, m’ont supplié à genoux… Les yeux pleins de larmes, je les ai repoussés… Je ne peux pas !… Cet argent n’est pas à moi ; il est à Elle, à Elle, la radieuse, la sublime épouse de mon cœur ! Je n’en puis rien distraire… Même pour sauver quelqu’un de la mort, de l’enfer, non, je ne le ferais pas.

La pluie chantait sur les flaques d’eau ; le vent hurlait, tout autour sur les ruines ébranlées, et dans l’air triste et mouillé, l’échafaudage balançait sa grêle silhouette, toute grise. Le trinitaire poursuivit :

— Vous m’avez insulté, tout à l’heure… Hé, mon Dieu ! comme tant de gens l’ont fait qui ne savaient pas… Je vous pardonne… Si j’ai deux sous pour manger, un pan de mur pour m’abriter, une planche pour dormir, un peu de sang chaud dans ces vieilles veines, un peu de muscles robustes sur ces vieux os, je suis content… Croyez-vous donc que je tienne à l’argent ?… Écoutez, mon cher abbé, le jour où mon église sera bâtie, revenez, et ce que vous me demanderez, je vous le donnerai… sur le repos de mon âme, je vous le jure… mais d’ici là, non, non !… Je ne peux pas !

Jules restait abasourdi devant le moine. Et véritablement, il ne comprenait plus. Était-ce un dément sincère ? Se moquait-il de lui ? Il l’ignorait. Dans