Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/149

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soir, des bouts de conversations, entre les promeneurs, sur les boulevards.

— C’est peut-être la guerre !

— Il paraît que c’est un enragé, cet évêque-là !…

— Et Rome ?… que dit Rome ?

Des feuilles sérieuses et bien renseignées établirent l’affiliation de l’évêque à des sociétés occultes, expliquèrent le fonctionnement du carbonarisme catholique, dont il était un des plus dangereux chefs, et qui menaçait la liberté des consciences et la paix du monde. Autour de son nom, de ses actes, se bâtirent les plus absurdes légendes ; on fouilla dans sa vie privée, avec acharnement ; on rappela son procès, à grand renfort de commentaires insultants ; et les journaux satiriques illustrés livrèrent à l’horreur des foules sa caricature, coiffée de la sombre cagoule de Torquemada. Aucune voix ne s’éleva en sa faveur. Il fut désavoué hautement, durement, par la presse cléricale. Et, tandis que le vieux bonhomme, étourdi, affolé, tout seul, là-bas, dans une chambre d’hôtel, sentait son âme ployer, s’écraser sous le poids d’une souffrance infinie et d’une irréparable honte, Jules, exultant, triomphait. Il savourait, avec une complète joie, le résultat inespéré et prodigieux de sa mystification, et fier de tout le bruit qu’il avait déchaîné, il agitait en l’air les feuillets du mandement, comme autrefois, gamin, la bouteille d’huile de foie de morue de sa sœur Athalie ; et il dansait, et il criait :

— Non !… C’est une bonne farce !… Ha ! Ha ! Ha !