Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/151

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Jules semblait s’amender. L’opinion lui revenait, de jour en jour, plus favorable. Il avait obtenu un véritable succès en « prêchant le mois de Marie » avec un très grand charme de parole, une poésie d’amour mystique voilé de tendresses humaines, qui lui avaient conquis le cœur des femmes. Une transformation physique s’opérait en lui. Il se soignait davantage, perdait ses habitudes de prêtre bohème, portait des soutanes presque élégantes, et des boucles d’argent à ses souliers plus fins. On commençait de le recevoir dans quelques châteaux d’alentour, avec plaisir. Sous son apparence, rude encore, et sous ses gestes toujours cassants, il étonnait par la variété, par l’intérêt délicat et nouveau de ses conversations, coupées parfois d’une hardiesse de mot ou de pensée, qui n’était pas pour déplaire même aux plus dévotes. Dans le hasard des lectures nombreuses, il avait appris énormément de choses, et des plus différentes ; et si ces connaissances, rapidement acquises, n’étaient point classées en son esprit, avec méthode, il savait s’en servir adroitement, et les mettre, sans pédantisme, au ton d’une causerie familière. Sa laideur elle-même disparaissait, la maladresse de son long corps anguleux et dégingandé ne choquait plus autant ; ce qui le rendait autrefois ridicule, lui constituait maintenant une sorte d’originalité, plutôt agréable, et bien faite pour le distinguer de la lourde, de la massive banalité paysanne de ses confrères… Et, plus tard, au milieu d’une épidémie de petite vérole qui décima un des