Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/188

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lait, partit. Dans ses accès de fièvre, il prononçait des mots épouvantables, et se livrait à des actes d’une effarouchante inconvenance. Il fallut lui attacher les mains. La convalescence fut longue, contrariée par le tempérament irritable du malade qui ne cessait d’injurier mon père.

— T’z’imbéé… cile !… va-t-en… C’est toi qui me donnes la fièvre !… Est-ce que tu sais quelque chose, toi ?… T’z’imbée… cile !

Il ne se releva que pour enterrer ma pauvre grand’mère qu’on trouva morte, un matin, dans son lit foudroyée par la rupture d’un anévrisme. Jules pleura sincèrement.

— C’est le chagrin qui l’a tuée ! s’écriait-il… Je suis un misérable… Elle si bonne, si sainte, si sacrée… je l’ai tuée !

Avec mon père et ma mère, il veilla la morte, voulut l’ensevelir lui-même.

— Tu es faible encore, disait mon père… Repose-toi, tu te feras du mal.

Mais Jules répétait :

— Non !… Non !… Je l’ai tuée… C’est moi !… Pourquoi m’as-tu guéri ?… Et pourquoi est-elle morte, elle ?…

Au cimetière, quand la fosse fut comblée, et tandis que la foule défilait, se disputant l’aspergeoir, il s’agenouilla sur la terre humide, se frappant la poitrine, avec des gestes extravagants.

— Messieurs, gémissait-il… Mesdames… je l’ai tuée… Pardon !… pardon !…