Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/19

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— Un matin, ton oncles Jules — il avait dix ans, alors — entra, en chemise, chez sa sœur. D’une main, il tenait la bouteille d’huile de foie de morue, de l’autre, un sac de papier rempli de pastilles de chocolat, qu’il avait découvertes, je ne sais où, au fond d’un tiroir. La pauvre petite dormait ; brutalement, il la réveilla. « Allons, bois ta cuillerée ! », lui dit-il. Ta tante, d’abord refusa : « Bois ta cuillerée, répéta Jules, et je te donnerai une pastille de chocolat. » Il avait ouvert le sac, remuait les pastilles, en prenait des poignées qu’il lui montrait, en claquant de la langue : « C’est bon, lui disait-il, c’est fameusement bon… et il y a de la crème à la vanille… Allons, bois. » Athalie, but, en faisant d’horribles grimaces. « Prends-en une autre, maintenant, dit Jules, et je te donnerai deux pastilles, tu entends bien, deux belles pastilles. » Elle but une seconde cuillerée. « Tiens, encore celle-ci, et tu auras trois pastilles. » Elle but une troisième cuillerée… Elle en but quatre, puis six, puis dix, puis quinze, elle but toute la bouteille… Alors ton oncle, ne se tint plus de joie. Il dansa dans la chambre, agitant la bouteille vide, criant : « C’est une bonne farce… Ha ! ha ! ha !… quelle bonne farce !… Et tu seras malade, et pendant deux jours, tu vomiras… Ah ! que je m’amuse ! » Ta tante Athalie pleurait, se sentait le cœur tout brouillé. Elle fut malade, en effet, très malade, faillit mourir. Pendant huit jours, elle eut la fièvre et des vomissements, et, deux semaines, elle garda le lit. Ton oncle, lui, fut fouetté ; on le mit