Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/241

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geant jamais la forme. Ma mère avait beau lui suggérer des idées, lui tracer des réponses, il n’entendait rien, ne comprenait rien, il s’obstinait à ce « nom de Dieu de gaillard ». Elle soupirait, demandant à son regard une complicité :

— Ah ! quelle tristesse que les familles divisées !… Ce serait si bon d’être réunis et de s’aimer… Et lui, si seul avec une santé si délicate… On le soignerait si tendrement !… Nous sommes aussi de bien petites gens, pour lui qui est si savant, si éloquent. Dame ! quand on a son intelligence… quand on a été à Paris !… Nous autres, nous n’avons que notre cœur…

Et sa voix, sa pose, ses gestes semblaient crier :

— Mais répète-lui ça, imbécile.

À quoi le cousin Debray, la bouche pleine, l’œil luisant, répondait :

— Oh ! ce Jules ! c’est un nom de Dieu de gaillard !… Quelquefois, en causant avec lui, je ne puis m’empêcher de lui dire : « Jules, tu es un nom de Dieu de gaillard ! »

— Et quand vous causez avec lui, reprenait ma mère en s’accrochant désespérément aux rares mots autres que les jurons du capitaine… Que dit-il ?… Se plaint-il ?… Parle-t-il de Paris ?… De nous ?…

— Lui !… Ah ! bougre, ma cousine !… C’est un nom de Dieu de gaillard, allez !

Enfin, une fois, il expliqua qu’il était entré dans la bibliothèque. Il ajouta même qu’il avait vu des livres, qu’il les avait palpés, que Jules lui avait montré des