Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/25

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prés, les cultures et les boqueteaux. Dans le haut du pays, et reliée à lui par une vaste allée d’ormes — rendez-vous des gamins qui jouent à la marelle — l’église apparaît, vieille, tassée, coiffée d’un clocher pointu, en forme de bonnet de coton. À droite, sont les écoles et notre habitation ; à gauche, le presbytère, séparé du cimetière par un mur démoli, creusé en brèches, de-ci, de-là, au-dessus desquelles l’on voit les croix qui se démantibulent et les tombes qui verdissent. Au milieu de l’allée d’ormes, un calvaire s’élève, dont le christ de bois peint, pourri par l’humidité, n’a plus qu’une jambe et qu’un bras, ce qui n’empêche pas les dévotes de venir s’agenouiller au pied de la croix, et de marmotter des oraisons, en égrenant leur chapelet.

À cette époque Viantais comptait deux mille cinq cents habitants, et ne renfermait pas plus de vingt familles bourgeoises et ménages de fonctionnaires. On s’y voyait très peu, même entre parents qui, presque tous, se trouvaient divisés pour de féroces et mesquines considérations de vanité, ou brouillés par des affaires de succession. Nos relations, à nous, se bornaient aux Servières, dont le luxe gênait mes parents, les inquiétait, les mettait en méfiance ; au curé Sortais, vieillard excellent, charitable et compromettant, à cause de l’excessive candeur de son âme, qui l’incitait à commettre sans cesse les plus lourdes bévues ; enfin, aux Robin, devenus tout de suite les intimes de la maison. Nous recevions bien, de loin en loin, la visite du cousin Debray, ancien capitaine d’in-