Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/257

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bien ceci… l’émotion naïve qu’une toute petite fleur inspire au cœur des simples vaut mieux que la lourde ivresse et le sot orgueil qu’on puise à ces sources empoisonnées… Et sais-tu pourquoi ?… Parce que le cœur simple comprend ce que dit la toute petite fleur, et que tous les savants, avec tous les philosophes, avec tous les poètes, en ignoreront toujours le premier mot… Les savants… les philosophes… les poètes !… Peuh !… Ils ne servent qu’à salir la nature de leurs découvertes et de leurs mots, absolument comme si, toi, tu allais barbouiller un lys ou une églantine avec ton caca !… Attends, attends, mon garçon, je vais te dégoûter de la lecture… Et ça ne sera pas long !

Il monta sur un escabeau appliqué contre les bas rayons de la bibliothèque, et prit un livre, au hasard

— L’Éthique, de Spinoza. Voilà ton affaire.

Étant redescendu, il me remit le volume, non sans avoir tapé sur les plats, à plusieurs reprises, de la paume de sa main.

— Assieds-toi, près de la petite table, là-bas… et lis, à haute voix, à la page que tu voudras.

Mon oncle s’enfonça dans son fauteuil, croisa ses longues jambes l’une sur l’autre, ses longues jambes maigres et pointues, dont les genoux atteignaient l’axe du menton. Et la tête renversée en arrière, le bras droit posé sur l’accoudoir, le gauche pendant, il ordonna :

— Commence !

D’une voix incertaine, ânonnante, je commençai la