Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/272

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Je ne perçois même plus la respiration de mon oncle, et je n’ose le regarder. Une minute, une lente minute s’écoule. Pas un souffle ne m’arrive, pas le plus léger craquement du fauteuil où il est étendu… Que fait-il ?… Très bas, je l’appelle.

— Mon oncle !

Il ne me répond pas.

— Mon oncle !

Il n’a pas remué… J’écoute. Il n’a pas respiré.

Alors un affreux soupçon me traverse l’esprit. Je me souviens de ce qu’a dit mon père, l’autre soir, en nettoyant son bistouri : « Il peut mourir d’un instant à l’autre. »

— Mon oncle !

Cette fois, j’ai crié de toutes mes forces, éperdu. Rien.

Je me lève, frissonnant, claquant des dents. Il est là, étendu, presque couché, dans la pose qu’il avait tout à l’heure. Mais sa figure est très pâle. Cette question de mon père me revient encore à la mémoire : « As-tu remarqué que ses jambes enflaient ? » Oui, elles me paraissent énormes… Et il ne bouge pas !… Une mouche circule sur son front, court sur ses paupières, descend le long du nez, remonte. Il ne bouge pas. Je saisis sa main : elle est froide… Une écume blanche borde ses lèvres refermées.

— Mon oncle !… Mon oncle !

Mais voici que ses doigts s’agitent ; à travers l’écume qu’un souffle d’air soulève, ses lèvres, faiblement, lais-