Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/98

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hâte, comme un devoir ennuyeux. À l’exception des heures d’offices et de repas, il restait presque toujours enfermé dans sa chambre, refusant obstinément de s’occuper des choses qui n’étaient pas dans ses attributions. L’évêque, qui redoutait extrêmement l’activité pleine d’imprévu de son secrétaire, redouta plus encore son inaction, car le poids de l’administration retombait sur lui et il s’en trouvait tout écrasé. De crainte d’irriter Jules et d’amener des scènes, il ne voulait point, dans les cas difficiles recourir au grand vicaire ; d’un autre côté, il ne pouvait, seul, se décider à prendre une résolution quelconque. Alors, il se lamentait, perdait la tête devant l’accumulation grandissante des dossiers, des lettres à écrire, ne recevait personne et ne faisait rien : « Je suis désarmé ! absolument désarmé ! », se répétait-il souvent, pour essayer d’étouffer la voix intérieure qui montait du fond de sa conscience, troublée de reproches. Lui aussi, il se confina davantage dans sa bibliothèque et, croyant échapper de la sorte aux embarras du présent, aux responsabilités de l’avenir, il se mit à retraduire Virgile, en vers de huit pieds, avec acharnement. Un instant, le palais épiscopal retrouva son aspect morne, son silence de maison abandonnée, silence interrompu vers le soir par des sonneries suraiguës, d’étranges et cacophoniques roulades d’instruments de cuivre qui tombaient sur la ville, en averses de fausses notes et de couacs, précipitant pêle-mêle des refrains de chansonnettes et du plain-chant, des airs militaires et des can-