Page:Mirbeau - La Grande voix de la presse, paru dans l’Écho de Paris, 31 mai 1892.djvu/7

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L’Interviewer (impérieux)

Allons, amenez-moi votre femme… Il faut que je la voie, que je l’interroge… que je tâte sa psychologie… que je remonte aux sources de son atavisme… Comment est-elle, votre femme ?… Blonde ? (Silence). Grande ? Bien faite ? (Silence). A-t-elle des passions inavouables, des vices lesbiens ? (Silence). Est-ce vous qui l’avez dépravée ?… Combien de fois s’est-elle fait avorter ?… (Silence). Mais vous refusez de répondre, de m’aider dans mon enquête… (Silence). Très bien ! (Il prend des notes). Encore une question !… Que pensez-vous de la télépathie ?… Quelles sont, suivant vous, les causes des phénomènes hypnotiques ?… À quoi attribuez-vous la marche progressive de la dépopulation ?… Avez-vous une opinion très nette sur le socialisme d’État ?… Dans quelle direction pensez-vous que doit s’orienter la littérature ?… (Silence). Très bien !… C’est un parti pris de mutisme ; une offense voulue envers la Presse ! Il vous en cuira, monsieur, c’est moi qui vous le dis… (Il se lève). Je m’en vais… (Menaçant). Vous n’échapperez pas à la psychologie !… Je vais interroger vos voisins et les voisins de vos voisins… car les voisins de nos voisins sont nos voisins, n’est-ce pas ?… Adieu ! (Il se dirige vers la porte).

L’Interviewé (le rappelant)

Monsieur ! monsieur !

L’Interviewer

Il est trop tard, tant pis pour vous !

L’Interviewé

Vous me devez trois bocks.

L’Interviewer

La Presse ne doit jamais rien… (Il sort.)


OCTAVE MIRBEAU.