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LA GUERRE ET L’HOMME


L’Humanité

Tu ne passeras pas, maudite gueuse. Regarde derrière toi les chemins que tu as parcourus ; partout la nuit, le malheur, la désolation. Les maisons sont détruites, les villes sont incendiées et, dans les champs rasés, dans les forêts abattues pourrissent des cadavres. Chacun de tes pas est marqué d’une fosse où dorment, à jamais, les meilleurs, les plus forts d’entre les enfants des hommes. Ce n’est pas seulement le présent que tu détruis, c’est l’avenir que tu fauches, l’avenir où repose la lumière sacrée. Tu ne passeras pas.

La Guerre

Je passerai, vieille radoteuse, et tes pleurnicheries ne m’arrêteront pas. Il faut que toute la terre s’éclaire à mon soleil de sang, et qu’elle boive, jusqu’à la dernière goutte, l’amère rosée des larmes que je fais couler. Je pousserai sur elle le poitrail fumant de mes chevaux et je les broierai sous les roues de mes affûts. Tant qu’il existera, non seulement deux peuples, mais deux hommes, je soufflerai dans mes clairons et ils s’entretueront. Et mon corbeau, mon beau corbeau sanguinaire et funèbre, s’engraissera dans les charniers.