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Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/215

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si je la frôlais dans l’escalier, elle m’embrassait avec furie. Et je ne savais jamais à quoi attribuer ses effusions ou ses coups, également désobligeants.

En tout ce qu’elle faisait, elle semblait obéir aux suggestions d’une folie incompréhensible. Quelquefois, elle restait enfermée des journées entières, dans sa chambre, triste, pleurant ; le lendemain, prise de gaietés bruyantes et de dévorantes activités, elle chantait. Je l’ai vue remuer, dans le bûcher, d’énormes bûches qu’elle déplaçait sans utilité, et, dans le jardin, piocher la terre, plus ardente au travail qu’un terrassier. Elle était fort laide, si laide que personne jamais ne l’avait demandée en mariage, malgré ses six mille livres de rente. On pensait dans la famille qu’elle souffrait beaucoup de son état de vieille fille, et que c’était là la cause de ses actes désordonnés. La figure couperosée, la peau sèche et comme brûlée, et soulevée en squames cendreuses par du feu intérieur, les cheveux rares et courts, très maigre, un peu voûtée, ma pauvre cousine était vraiment bien désagréable à voir. Ses subites tendresses me gênaient plus encore que ses colères imprévues. Elle avait, en m’embrassant furieusement, des gestes si durs, des mouvements si brusques, que je préférais encore qu’elle me pinçât le bras.