Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/231

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qui pleurent. L’occasion était bonne — il me le semble maintenant — de transvider le trop-plein de mon cœur dans un cœur qui m’appartenait. Eh bien ! je n’y songeai pas une minute. Non que je trouvasse excessif et ridicule d’attribuer ce rôle à une fille stupide, qui en eût été fort embarrassée. Mais, c’est qu’en vérité mes inquiétudes avaient disparu, et je ne sentais plus la nécessité d’effusions autres que celles de mon sexe, de pénétrations autres que celles de sa chair. Tout ce par quoi j’avais été, jadis, si ému, si tourmenté : mes adorations mystiques, mes tendresses panthéistes, mes enthousiasmes confus, mes élans désordonnés vers des poésies imprécises et violentes, et les énigmes angoissantes de toute la vie, et la terreur du ciel nocturne, tout cela qui avait été mon enfance, tout cela, aujourd’hui, se résumait nettement, impitoyablement, dans l’unique désir charnel.

Je crois bien que jamais je n’adressai une seule parole tendre à Mariette. Et nous n’éprouvions pas le besoin, moi de la dire, elle de l’entendre. Ce petit argot des sentimentalités bébêtes et naïves par quoi j’avais débuté de la séduire — de la séduire ! — je ne l’employai plus dans nos rencontres, presque quotidiennes, ni aucun autre argot, ni aucun autre langage. Elle non plus, si bavarde avec les autres, elle