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V

Un soir d’automne, au crépuscule, je marchais dans le jardin.

Un vent aigre soufflait de l’Ouest ; le ciel, chargé de nuages cuivreux, avait des regards mauvais. De la fièvre passait dans l’air. Sur les plates-bandes abandonnées, pas une fleur, sinon quelques tiges mortes, et quelques mornes chrysanthèmes de hasard, çà et là brisés, çà et là couchés sur la terre nue. Et les feuilles, jaunies, roussies, desséchées, s’envolaient des arbres, tombaient sur les pelouses, tombaient sur les allées, décharnant les branches, plus noires que le ciel.

Je ne sais pourquoi, ce soir-là, je marchais dans le jardin. Depuis le départ de mon jardinier, et la mort de mes fleurs, je m’étais, pour ainsi dire, claquemuré dans mon cabinet de travail, et j’évitais de sortir au dehors, ne voulant plus revoir ces coins si vivants de mon jardin, où tant de petites âmes me faisaient fête jadis, où j’aimais à m’enchanter l’esprit de la présence toujours renouvelée de ces amies charmantes, maintenant disparues et mortes. Peut-être le bruit, dans la pièce voisine, d’une discussion entre Jeanne et sa femme de chambre, m’avait-il chassé, m’avait-il poussé, devant