Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/89

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cette immobile surface d’onde que ne troublait aucun éclair d’ablette, aucun sillage de brochet, aucun remous autour du bouchon rouge.

Durant plusieurs mois, ce rêve le poursuivit, chaque nuit.

— Je n’en prendrai donc jamais ? se disait-il avec épouvante.

Car, tout le jour, il pensait à son rêve. Et il aurait bien voulu ne plus penser à rien.

Il aurait bien voulu ne plus penser à rien. Et, pourtant, à force de penser à ce rêve, il prit la passion de la pêche à la ligne.

Pour aller à son bureau, M. Isidore Buche fit des détours, longea les quais, et s’attarda à regarder des pêcheurs. Lorsqu’il s’en revenait, le soir, il s’arrêta, devant un magasin, où étaient exposés, à la vitrine, des lignes, des gaules, des accessoires variés et charmants, dont il ne connaissait pas l’usage et qu’il eût voulu posséder. Il trouva un émotionnant plaisir à considérer la carpe, en carton doré, qui se balançait en haut de la devanture, pendue à un fil de soie. Et il se répétait, le cœur battant, les veines tout envahies par des ondes de sang plus chaud : « Je n’en prendrai donc jamais ! »

Un samedi soir, il s’enhardit, entra dans le