Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/161

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l’hibiscus, qui est une fleur très en retard, une vieille baderne de fleur (badernoïdes), n’aime pas le Wagner. Où avais-je la tête quand l’idée me prit de lui jouer, sur mon cornet à pistons, du Lohengrin, au lieu de l’Hymne russe, par exemple, ou le Père la Victoire, qui eût mieux convenu à son tempérament ? Ce que je suis vexé, mon cher monsieur, vous ne l’imaginez pas.

« Ensuite, je n’ai plus revu le concombre fugitif. Il a tenu à justifier son nom, cet animal-là. Il est parti… Où est-il ?… Que fait-il, à cette heure où je vous écris ? Je l’ignore. Vous pensez si j’ai fouillé mes plates-bandes, retourné planches et massifs, exploré coins et recoins, sondé trous et retrous de mon jardin !… Hélas ! peines perdues ! Pas la moindre trace de lui, nulle part. C’est un peu fort, vous en conviendrez.

« Je ne puis pourtant pas admettre qu’il ait franchi les palissades qui entourent le clos. Elles mesurent trois mètres de hauteur et sont encore surélevées, mon cher monsieur, par un triple rang de ronces artificielles. Ça n’est pas rien, comme vous voyez. Un cerf, un kanguroo, un prisonnier de M. Fédée ne pourraient sauter par-dessus. À plus forte raison, un concombre, pas vrai ?… Alors, quoi ?… C’est ici que je m’embrouille.