Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/168

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geait le front et pestait contre la chaleur. Et de temps en temps, il criait aux hommes de la péniche :

— Hardi ! les gars !… Enlevez-moi ça rondement !…

Ces hommes avaient le torse nu et bruni par le soleil. Les labeurs violents avaient exagéré leur modelé et faisaient de leurs muscles des paquets de cordes et des nœuds, et des bosses mouvantes, développés jusqu’à la difformité, jusqu’à la caricature, — caricature puissante et michel-angesque, il est vrai. Un pantalon de toile bleue, les uns, de velours pisseux, les autres, retenu au-dessus des hanches par une ceinture rouge, leur serrait la taille. Ils marchaient pieds nus et portaient le coltin de cuir qui préserve les épaules contre les écorchures, et fait participer la tête au fardeau mieux équilibré. Étrange coiffure que le coltin, qui donne à ces physionomies vulgaires, à ces rudes visages de brutes impensantes, un air de noblesse barbare et grandiose, et comme une beauté ancienne, héroïque.

Jamais la chaleur n’avait été si écrasante. Elle tombait du ciel en averses de feu ; elle montait de la Seine, miroitant, çà et là en rayonnements qui aveuglaient. Des odeurs de vase, des exhalaisons de fièvre et de pourriture, circulaient dans l’air embrasé. La surface du