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V

Dans la voix qui chantait sous l’oseraie, j’avais reconnu la voix, la ricanante et glapissante voix du petit bossu.

La voix chanta encore :

Connais-tu… le pays ?

J’eus le cœur serré par une inexprimable émotion, une émotion si secouante et si forte que je ne puis dire, non, en vérité, si c’était une sorte de plaisir sauvage qui entrait en moi, ou de fureur haineuse. Dans les sensations brusques que nous éprouvons, il y a un instant de violence où l’amour et la haine se confondent dans la même ivresse, où la joie devient de la douleur par son intensité même, où la douleur vous exalte comme une poussée de plaisir. Et le paysage animé, une seconde, par cette voix, me parut encore plus sinistre. Près de moi, les ronces et les clématites qui bordaient de leurs masses mouvantes la gueule du trou semblaient s’ouvrir et se refermer comme une mâchoire de monstre. Et le ciel, au-dessus des eaux mortuaires, se plombait davantage.

Après un intervalle de silence, la voix reprit, plus rapprochée de moi :

Connais-tu… le pays ?