Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/239

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— Viens ici ! commandai-je d’une voix plus forte.

Il eut un affreux sourire et, sans trembler, il s’avança vers moi.

— Que me veux-tu ?… demanda-t-il. Tu veux me battre encore ?… Tu en as le droit, puisque je suis le plus faible. Mais tout cela ne fera pas que Marie t’aime jamais !

— Tais-toi ! Ne parle pas d’elle.

Et je levai mes bras. Le petit bossu ne bougea pas. Il dit, en ricanant :

— Plus tu me battras… plus elle m’aimera… J’ai eu, bien des fois, la peau écorchée de tes coups… C’était délicieux, parce qu’elle pansait mes blessures avec ses lèvres.

— Tais-toi ! Et dis que ça n’est pas vrai !

Le petit bossu sourit et ne répondit pas. Son sourire était si aigu et si fixe, il me narguait tellement, avec une ironie si tranquille et si forte, que la patience m’abandonna.

Je laissai retomber mes bras sur son crâne. Étourdi par la violence du coup, il chancela, s’abattit sur l’herbe. Il n’était pas évanoui. Il dit encore :

— Qu’est-ce que cela fait que tu me tues, puisque Marie m’aimera encore mieux mort que vivant ? Et plus je serai mort, et plus elle aura horreur de toi.

Mais j’avais mis mon genou sur sa poitrine