Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/249

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infamie, un sacrilège, un crime. Je m’aperçois aujourd’hui que c’est là une vérité qui, parfois, me terrifie. Car je ne la comprends pas. Je ne comprends pas qu’il puisse y avoir du sang et de la mort, à la base de tout amour. L’amour, c’est la vie, c’est le renouvellement de l’être, c’est la création.

— Justement, me répond une voix intérieure. Pour vivre, pour renouveler, pour créer, ne faut-il pas détruire ? N’est-ce pas dans la décomposition, dans la pourriture que la vie fait son nid et dépose ses germes ?… L’être ne peut pas se développer sur l’or et le diamant. Il lui faut les charognes et l’excrément. Il ne naît même pas de la simple boue, comme le voudrait la Genèse : il naît d’un petit tas de sanie, d’un petit morceau de chair morte, d’une fiente !

Ah ! pourquoi ?… pourquoi ?… pourquoi ?…

Il y a quelque chose de pire dans l’amour de Marie. L’amour de Marie n’est-il pas semblable au monstrueux désir qui hante l’esprit des nécrophiles ? M’aimer dans les conditions où elle m’aime, n’est-ce pas aussi terrible, aussi antihumain que ce que font les violateurs de tombes qui, la nuit, dans les cimetières, déterrent les cadavres pour les souiller ? Ah ! comme je la détesterais, si je n’éprouvais pas, moi aussi, une joie folle à la faire souffrir et à l’aimer de toutes les souffrances morales et