Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/33

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Georges Marrieul était ce qu’on appelait une puissance ; du moins, il le croyait, aimait à le dire, affirmait les allures intimidantes et confortables d’un monsieur qui mène l’opinion publique au doigt et à l’œil. Il ne faisait rien dans la vie qu’il n’eût toujours, en l’esprit, cette constante préoccupation. Sur les boulevards, au restaurant où il avait des façons de manger spéciales et très dignes, au théâtre, dans le monde, il voulait qu’à sa vue chacun s’écriât : « Voilà un monsieur qui mène l’opinion publique ». Même dans l’intimité de sa maison, pour sa femme et ses domestiques, il n’abdiquait jamais ce ton de supériorité privilégiée, cette écrasante majesté, que donne le sentiment des hautes missions sociales à ceux qui en sont investis. Comme malgré cela, étant très Parisien, il avait la coquetterie de passer pour un fantaisiste, il lui arrivait parfois de mener l’opinion publique par des chemins extraordinaires et anormaux, de la compromettre en des aventures prodigieusement comiques, ce dont il s’amusait beaucoup, en dedans, car Georges Marrieul n’eût jamais consenti à rire de quoi que ce soit, pas même de lui, estimant que le rire est chose brutale et grossière, et qu’il ne convient